La place du corps et du toucher en thérapie
Lieu de la vitalité, le corps, est central
Dans la conception de la PCI, le corps est central : c’est le lieu de résidence et d’expérience du Soi. Quand Kohut définit le Soi comme la conscience de l’expérience que l’individu est en train de vivre, il ne met pas l’accent spécifiquement sur le corps, mais cette expérience de l’individu doit se vivre quelque part dans le microcosme et il semble logique que ce soit dans son corps.
Le corps est aussi le lieu de la vitalité, et la vitalité est reliée à la respiration. Sans la respiration, la vitalité chute inévitablement et fatalement. Le corps est donc le point de référence central, un lieu de conscience par la conscience corporelle de l’expérience du Soi et un lieu de vitalité par la respiration.
Si l’on fait référence à l’expérience des frontières que vous avez expérimentée, vous avez eu des réactions corporelles, vous avez eu des indices dans votre corps : soit un léger malaise, soit votre respiration coupée, soit un très léger mouvement de recul intérieur. Le corps est le meilleur baromètre de notre expérience.
Avec notre tête nous pouvons justifier, rationaliser à peu près n’importe quoi; quand nous sommes enracinés dans notre corps, nous ne pouvons plus nous raconter d’histoire : ça goûte bon ou ça ne goûte pas bon. En PCI, nous considérons qu’il est important d’aider la personne qui nous consulte à développer sa capacité de référer à ce baromètre intérieur qu’est son corps. Ce travail se fera dans un certain contexte et en utilisant toutes sortes d’autres aspects dont la connaissance, et la compréhension sont nécessaires pour pouvoir juger de la pertinence ou de la non-pertinence d’un toucher. Le toucher étant fondamental et aussi très puissant comme contact, il exige du thérapeute beaucoup de précautions.
Reconnaître et respecter la frontière de son client
Vous avez tous fait l’expérience à un moment ou à un autre d’être avec quelqu’un de très expansif. C’est le matin, vous vous sentez un peu sauvage, plutôt renfermé et votre conjoint se sent très affectueux, vous approche, vous touche, vous embrasse alors que vous n’en avez aucune envie. Vous vous contractez intérieurement. Extérieurement, soit que vous manifestiez votre besoin d’espace soit que vous fassiez comme si de rien n’était pour ne pas provoquer de chicane; pendant qu’il vous minouchait, vous pensiez à autre chose, vous continuiez à lire le journal; vous n’étiez plus vraiment là, votre esprit était ailleurs. Vous n’étiez pas présent, ni à l’échange avec votre partenaire, ni à votre expérience interne. La présence est une habileté, un instrument fondamental que nous utilisons en PCI : pour faire du travail psychologique avec quelqu’un, nous considérons qu’il doit d’abord et avant tout être là, être présent à son expérience interne et son expériencere relationnelle avec le thérapeute.
Pour que la personne puisse être présente, le thérapeute doit reconnaître et respecter la frontière de son client, il doit le rassurer qu’il respectera cet espace. Il doit se garder d’agir comme le conjoint qui ignore les indices corporels de son partenaire ou qui les décode comme un rejet de sa personne. La frontière est un espace physique, psychologique et émotif qui peut être envahi physiquement, mais aussi émotivement par des reflets inadéquats ou par une intensité émotive inappropriée. La frontière est le lieu de résidence du Soi, l’espace d’intégrité d’une personne, son espace de souveraineté. Les frontières sont différentes d’une personne à l’autre selon les blessures vécues dans l’enfance, les forces que la personne a pu développer, selon le développement affectif de la personne, selon les patterns relationnels qui prévalaient dans le milieu où la personne a grandi, selon ce que l’on nomme en PCI le scénario de vie d’une personne.
Les informations recueillies lors de la prise du scénario permettent au thérapeute de brosser un tableau, un schéma de cette histoire relationnelle et affective, d’avoir une perspective sur son client et de pouvoir, dans une certaine mesure, identifier ce qui risque de se produire dans le transfert, et comment le thérapeute pourrait par ses contre-transferts ou ses interventions, reproduire les blessures de l’enfance. Le scénario permet d’identifier des thèmes, des croyances, des valeurs, des préjugés sur les hommes, sur les femmes, sur la vie en général, qui sont transmis de génération en génération. Ce matériel sera pertinent pour juger de la pertinence de nos interventions, sur ce qui sera ou ne sera pas approprié.
Les blessures de l’enfance
Les blessures de l’enfance ont engendré des défenses, des protections. L’enfant apprend à se défendre et à se protéger face à ses blessures et développe ce que l’on nomme en PCI un style défensif. Ce style défensif affecte la façon dont un individu sera en relation avec les autres en général, et encore plus particulièrement avec les personnes significatives de sa vie. La connaissance de ce style ainsi que le type de frontière que se donnera le client permettra au thérapeute d’évaluer la distance optimale à observer entre lui et ce client et d’évaluer la pertinence ou non d’un toucher. De plus, le corps nous donne continuellement des indices sur la pertinence de nos interventions. Lorsqu’un toucher est inapproprié, par exemple, la personne se contractera plus ou moins subtilement, ou elle “quittera”, dans le sens où elle ne sera plus vraiment présente au contact, elle sera ailleurs, pensera à autre chose; ses yeux s’éteindront. Vous avez sûrement déjà observé en jasant avec un ami, conjoint ou collègue un brusque changement dans le regard de la personne, tout à coup elle n’est plus aussi attentive, elle semble ailleurs moins intéressée, vous voyez dans ses yeux que la personne n’est plus là, l’énergie n’est plus là. Ce sont là des baromètres physiques, corporels, énergétiques qui peuvent guider notre intervention.
L’on doit également tenir compte des transferts et des contre-transferts. Toute relation est transférentielle et encore plus fortement dans une relation thérapeutique. L’aspect transférentiel et contre-transférentiel sont des éléments du travail thérapeutique qui ne peuvent absolument pas être ignorés dans notre décision de toucher ou de ne pas toucher.
Le corps comme baromètre de l’expérience
Nous avons en thérapie à travailler avec tous ces éléments en même temps, en utilisant le corps comme un baromètre de l’expérience, comme le lieu de référence de la personne et du thérapeute pour guider le processus. Si nous n’avions pas été blessés, nous pourrions corporellement nous sentir ouverts et l’énergie circulerait librement à l’intérieur de nous. Toutefois, personne n’a eu un bagage génétique parfait, des parents parfaits, des circonstances de vie parfaites; alors, nous avons tous dans nos corps des barrages, des contractions qui ont servi à nous protéger de sensations ou d’émotions désagréables, douloureuses et même parfois insoutenables. Ces contractions deviennent chroniques et nous nous habituons à vivre avec elles, nous n’en avons plus conscience.
Nous faisons donc du travail corporel pour aider la personne à prendre conscience de ces barrages, blocages, et pour les ouvrir pour permettre à la personne d’avoir une expérience de vitalité plus grande, de passer de la contraction vers l’expansion. Cette expansion est le but ultime de la thérapie parce qu’en PCI nous concevons le Soi comme étant une expérience énergétique d’identité, de continuité et de bien-être ressentie dans le corps. Ne vous est-il jamais arrivé de vivre une expérience de bien-être intense dans votre corps ? Durant cette expérience vous ne vous demandiez plus qui vous êtes, vous faisiez juste sentir qui vous êtes. C’est une expérience du Soi. Nous utilisons donc différentes techniques pour favoriser cette ouverture et cette expansion.
La première technique — la moins envahissante — sera la conscience corporelle. Puis nous utiliserons la respiration car c’est notre premier blocage pour diminuer les sensations désagréables. Nous pourrons aussi utiliser des positions de stress comme celle de la bioénergie pour étirer des muscles et permettre un relâchement; nous allons utiliser des mouvements comme le Feldenkreis pour mettre une partie du corps en mouvement et défaire la rigidité pour favoriser une nouvelle expérience et la conscience par le contraste; il va y avoir des techniques d’auto-exagération pour, là aussi, favoriser la conscience par exemple : une personne ayant tendance à courber le dos sera invitée à exagérer cette posture pour lui permettre d’être particulièrement attentive à l’expérience qu’elle a d’elle-même dans cette position, pour être attentive à ce que la personne se fait dans cette position. Il y a des techniques d’auto-ouverture que nous enseignons aux gens pour leur permettre d’ouvrir eux-mêmes des parties de leur corps qui ont tendance à être contractées comme des manipulations d’automassage, des points d’acupression.
Le toucher
Et finalement il y a le toucher. Cette intervention étant la plus puissante, c’est celle que nous utiliserons en dernier lieu pour toutes les raisons que nous avons déjà mentionnées. Si le toucher n’est pas utilisé de façon juste en termes de timing, d’intensité, de spécificité pour la personne concernée, nous ne ferons que reproduire des blessures. Deux éléments peuvent grandement nous aider à ce niveau : premièrement, nous pouvons sonder la pertinence du toucher en nous guidant sur les réactions corporelles de la personne, donc nous devons développer notre habileté à percevoir ces réactions et à les décoder; deuxièmement, nous devons pouvoir nous référer à un cadre théorique qui implique une connaissance du développement de la personne humaine, des mécanismes de défense, des aspects transférentiels, et qui inclut un travail sur soi pour être capable d’identifier ses contre-transferts. Le toucher peut reproduire des blessures s’il est utilisé comme une simple technique, sans cadre de référence théorique. Mais il n’y a pas seulement le toucher qui peut reproduire des blessures et avoir des impacts détériorants : un reflet ou une interprétation inappropriés dans leur timing ou leur contenu, une attitude non empathique, peuvent tout autant être négatifs pour le client. Peu importe l’intervention utilisée, il est important de développer du discernement, et le danger qui existe face au toucher, c’est le même que pour toute intervention, c’est pourquoi je crois qu’il faut mettre l’accent non pas sur la restriction et faire du toucher un tabou en thérapie, mais bien sur le discernement, sur la capacité des thérapeutes à intervenir de manière appropriée.
Comme exemple de toucher pertinent, je pense à une de mes clientes, une femme qui a été abusée sexuellement par son père et qui n’en avait aucun souvenir. Dans sa vie elle n’avait eu aucune relation avec des hommes. C’est une femme très rigide, très fonctionnelle. Il y a trois ans, elle a appris que toutes ses soeurs avaient été abusées par son père et elle a été fortement ébranlée à ce moment-là. Elle s’est mise à se questionner à savoir si elle avait été elle aussi abusée sexuellement, et suite à un atelier où elle a eu des réactions dans son corps qu’elle ne pouvait s’expliquer, elle a entrepris une thérapie avec moi. Durant la première année de thérapie, la distance à laquelle elle pouvait être confortable avec moi était très grande. Durant cette année-là, elle a pu s’explorer et apprendre à se sentir davantage, et je me disais qu’il n’était pas question que je la touche. Il y a quelques semaines je lui demandais quelles conditions pourraient l’aider dans ce qu’elle vivait en thérapie parce qu’elle était très paniquée par toutes les sensations et les images du passé qui lui revenaient. C’est alors qu’elle m’a demandé de lui tenir la main. Après m’être assuré qu’elle avait sa frontière et qu’elle se sentait sûre que j’avais la mienne, nous avons rejoint nos deux mains à la limite de nos frontières respectives et ça a été un moment très supportant pour elle, un tournant dans la relation thérapeutique et dans sa relation à elle-même. Au lieu de continuer à se traiter comme un objet et à tenter de se débarrasser de ses sensations dérangeantes, elle s’est mise à avoir un peu plus d’empathie pour elle-même, parce qu’il y avait un support physique empathique. Je me suis rappelé que Stern dit que, lorsque les blessures au Soi se sont produites très tôt (elle avait été abusée à partir de l’âge de trois ans jusqu’à huit ans), le client a besoin d’un support physique de la part du thérapeute.
Comme exemple de toucher qui n’aurait pas été pour moi pertinent, je me rappelle une cliente qui, à la fin d’une entrevue, m’a demandé de la serrer dans mes bras. Intérieurement je ne me sentais pas disposé à répondre à cette demande, je n’avais pas l’impression que ce serait approprié. J’ai donc suggéré à ma cliente que nous puissions reparler de sa demande à la prochaine rencontre; je lui ai dit que je pouvais comprendre sa déception, mais que je ne croyais pas que d’acquiescer à sa demande serait aidant pour elle à cette étape-ci de sa démarche thérapeutique. Bien sûr, elle s’est sentie blessée, rejetée, mais nous avons pu en reparler. Cette cliente a des traits de personnalité histrionique et elle a de la difficulté à contenir son expérience. Les personnes à tendance histrionique ont tendance à vouloir décharger leurs expériences, à les agir à l’extérieur, et c’est effectivement ce qui se passait pour elle : elle avait de la difficulté à contenir son expérience, elle cherchait à décharger ce qu’elle vivait à ce moment-là. Le toucher n’aurait donc pas été optimal; il aurait renforcé le comportement manipulateur et, si cela avait été fait à répétition, il aurait été de plus en plus difficile d’amener cette personne à être capable de ne pas agir immédiatement ses malaises ou ses émotions de façon à s’en décharger. En n’acquiesçant pas à sa demande, la cliente a eu l’occasion de vivre une expérience différente de ce qu’elle fait habituellement, de pouvoir explorer cette expérience, la mettre en relation avec ce qu’elle vit à l’extérieur de la thérapie, de la comprendre et de l’intégrer.
André Duchesne, M.Ps.
Psychothérapeute et formateur accrédité en PCI
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